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Pardon juif et repentance
chrétienne
Introduction
au séminaire CŒUR Kippour 1996 à Jérusalem Par le père Marcel DUBOIS Paru
dans Yerushalaim n°11 Il n’est évidemment aucun besoin de
présenter ici le père Marcel DUBOIS. Les textes de ce numéro spécial, comme
ceux du numéro suivant, sont des transcriptions des conférences données au
lendemain de Yom Kippour 1996 , lors du séminaire COEUR qui était placé sous sa
présidence. Par cette introduction, nous sommes
placés devant le défi que constitue le problème du pardon, impossible mais
indispensable, incontournable mais inatteignable, entre juifs et chrétiens. ---------------------------------------------------------------------------- Quelle
est la signification de ce séminaire?
Quel est le propos de ces entretiens ? Dans quel esprit sont-ils conduits
? Deux thèmes connexes nous sont
proposés : la signification du pardon dans le Judaïsme et la conception
chrétienne de la repentance. Il ne
s'agit pas d'un colloque interdisciplinaire, ni d'un séminaire - un de plus
- de religion comparée ou de sociologie
religieuse. Le propos est plus
existentiel et plus engagé car il concerne notre vie notre attitude
spirituelle. En réalité, il s'agira
pendant ces deux jours de réfléchir, par mode d'examen de conscience, ici à
Jérusalem, dans l'esprit de Yom
Kippour, sur un thème qui est au centre de la finalité spécifique de C.Œ.U.R. Pour le
faire, nous allons interroger nos amis juifs. Nous pourrions formuler ainsi le
thème de notre rencontre : "Que pense du pardon, celui là même à qui on
voudrait demander pardon?" C'est l'occasion de nous rappeler que nos amis
juifs se sont depuis bien longtemps interrogés sur ce point à propos du
scandale de la Shoah. Ils ont longuement réfléchi sur cette blessure, sur ses auteurs, sur leurs responsabilités. En
1965, ont été publiés les actes d'un colloque des intellectuels juifs français
qui avait eu lieu les 13 et 14 octobre 1963, sur le thème du pardon, avec des
exposés remarquables, en particulier de Vladimir Yankelevitch, Emmanuel Levinas
et de Manitou. C'était une réflexion
sur l'histoire toute récente qui apparaissait en fait comme une confrontation
de réactions existentielles à l'égard d'une épreuve dont la douleur demeurait
vive dans le coeur et la chair de chacun. Ce volume est toujours actuel (1). La
blessure originelle et les questions qu'elle suscite restent les mêmes. Réfléchissant
à notre tour sur ces choses, nous comprendrons mieux l'injustice et le scandale
fondamental qu'a été la Shoah, et nous découvrons la subtile présence dans la conscience chrétienne de ce péché
contre l'Evangile qu'est l'antisémitisme. Nous pourrons comprendre à partir de
là, la gravité de beaucoup d'autres fautes contre l'humanité car, tout ce qui
concerne Israël et le peuple juif, l'antisémitisme et la Shoah, ont une
signification à la fois singulière, unique et universelle. Je vous
renverrai aussi à ce numéro "Supplément de la Vie spirituelle"(2) qui
contient les actes du Congrès de l'ACAT(Association des Chrétiens pour
l'Abolition de la Torture) consacré au Pardon et à la Justice. Il s'agissait
bien sûr d'une question tout à fait particulière, celle de la torture; mais en
fait, ce sont les mêmes problèmes que nous soulevons à propos de la repentance
et du pardon devant les atrocités de la Shoah. Voici quelques unes des
réactions des participants à ce Congrès, en réponse au questionnaire qui leur
avait été distribué. Elles peuvent inspirer notre propre réflexion. "Tout peut-il être pardonné ?" Réponses:
massivement, on affirme que le pardon est impossible ou inopérant sans
repentir ou aveu préalable - que le pardon doit se mériter - une seule réponse
note que ce préalable n'est pas absolument nécessaire - beaucoup pensent qu'il
faut distinguer entre la faute et son auteur - "Tout le monde peut être
pardonné, mais tout ne peut être pardonné". Le rapporteur interroge:
"Une telle distance est-elle légitime ? N'y a-t-il pas le risque, de faire
du coupable un être abstrait, séparé de ses actes ? " Autre rubrique:
paraissent impardonnables les crimes contre l'humanité, ceux contre les
enfants, ceux qui nient les droits de l'homme. Tous affirment que pardonner
n'est ni oublier, ni acquitter. On souligne encore que seules les victimes
peuvent pardonner, mais... quand les victimes n'existent plus ? Il est
remarqué que le pardon ne mène pas toujours à la réconciliation. Alors,
n'est-ce pas en contradiction avec l'affirmation que le pardon rompt la chaîne
des violences et permet de nouvelles relations? Rares sont ceux qui
invoquent la possible humiliation du pardonné. Soulignons cette
remarque, formulée dans bien des réponses - elle est à retenir: beaucoup disent
que pardonner nous change nous-mêmes. Autres
réponses: Au nom de quoi pardonner ? Au
nom de l'espérance: le criminel reste un homme, il est encore image de Dieu. Au
nom d'un idéal: l'homme a droit à la vie, il est toujours capable d'un mieux.
Au nom de la Miséricorde de Dieu. Au
nom du Christ: nous sommes appelés à devenir les imitateurs de Dieu, à
découvrir que l'autre est quelqu'un que Dieu aime, malgré ce qu'il est et le
crime qu'il a commis. Au nom de ce paradoxe évangélique : "Là où le péché
a abondé, la grâce a surabondé". Vous
voyez que la problématique est la même, elle soulève en profondeur les mêmes
questions. En fait, ce sont les interrogations et les réflexions que
Marie-Thérèse Huguet rappelait dans le dernier numéro de YERUSHALAIM. J'en
rappelle simplement quelques unes : "Comment
peut-on avoir à se repentir d'actes que l'on n'a pas commis ? La repentance
comme le péché ne peut-elle être que personnelle Depuis le temps qu'on entend parler de cette repentance, depuis
qu'il y a eu des paroles publiées dans ce sens, finissons-en et tournons la
page ! Il est morbide de toujours penser à la repentance, c'est vers l'avenir
qu'il faut se tourner. Aucun Juif ne
peut pardonner ce qui a été fait à d'autres... on les embarrasse et même on les
blesse en leur demandant pardon; les Juifs ne demandent pas cela, ils attendent
seulement de nous l'acceptation de leur identité, notre respect et notre
présence à leurs côtés dans leur lutte contre l'antisémitisme. Repentance
implique réparation, on ne peut pas réparer le passé Une telle démarche n'a
aucun caractère concret, c'est un acte fait, à peu de frais, pour se donner
bonne conscience... Pour
affiner la réflexion, Marie-Thérèse Huguet propose quelques suggestions, sous
mode de questions : Quelle sorte de repentance? puisqu'elle ne peut être
personnelle, comment formuler son caractère collectif? Comment peut-on parler
de solidarité de famille? Et quel sens cela peut-il avoir? De quoi avons-nous
exactement à nous repentir? Quelles sont les infidélités objectives dont nous
devons être purifiés ? Ultimes questions, et j'espère que nos amis juifs nous
aideront à les préciser: A qui notre repentance doit-elle être adressée,
puisque Dieu seul peut pardonner? Où, quand, comment cette repentance doit-elle
être présentée? Telles
sont les questions qui inspireront notre réflexion pendant ces deux jours.
Elles définissent assez bien le thème de nos entretiens. La
question est là, déjà ouverte. Ce sera le contenu des réflexions pendant ces
deux jours. Si je passe de la signification de notre rencontre et son contenu,
à la singularité et à l'originalité de l'esprit dans lequel doit se développer
notre réflexion, nous aurons à accepter l'interrogation suivante: Quelle
attitude est demandée de nous ? Si
j'avais à préciser l'esprit de cette rencontre, je dirais qu'il faut que nous
la concevions comme un exercice particulier du dialogue, une expérience
paradoxale de la nécessité, mais en même temps, des limites de ce qu'on appelle un peu rapidement le
"dialogue" entre juifs et chrétiens. Ici
permettez-moi de vous faire un aveu, qui pourra paraître à certains quelque peu
pessimiste mais qui relève en réalité d'une exigence très positive. J'éprouve
de plus en plus de réserve à l'égard de
ce qu'on appelle, généreusement mais hâtivement le "dialogue
judéo-chrétien". L'expression me semble avoir été banalisée jusqu'à être
vidée de sa signification absolument singulière. Il ne s'agit pas d'une
rencontre comme les autres. L'expérience m'a amené à découvrir que les rencontres authentiques entre Juifs
et Chrétiens sont plus profondes que ce que nous appelons généralement des
dialogues. S'agissant des Juifs et des Chrétiens, le dialogue exige
paradoxalement beaucoup de silence, le silence de l'écoute et du respect, le
silence de l'attention à l'autre. Et qu'en est-il lorsqu'il s'agit de
l'indicible, d'un mystère de souffrance qui est au delà de toute expression
comme c'est le cas, unique et incommunicable, qui est celui de la Shoah ? A cet
égard, le thème et le cadre de ce séminaire vont nous aider à découvrir les
conditions et les exigences du dialogue authentique. Pour me
faire comprendre, je recourrai à deux expériences personnelles qui m'ont aidé à
percevoir la singularité de notre rencontre. Vous savez que j'ai eu l'occasion
de dialoguer publiquement, avec le
Professeur Leibovitz, en particulier au cours d'une série d'entretiens
télévisés. Je dois dire en passant, que nous avons dû en subir le style et le
programme qui ne nous plaisaient guère. Quoi qu'il en soit, si vous avez eu l'occasion
de regarder ces émissions, vous avez
certainement constaté qu'il ne s'agissait pas d'un dialogue, mais de deux
monologues parallèles. Les deux interlocuteurs étaient certes présents l'un à
l'autre, bienveillants l'un à l'égard de l'autre, animés par un respect et une
attention réciproques, mais il n'y avait pas de véritable échange. Ce n'était
pas pour autant une confrontation, c'était une présentation juxtaposée de deux
manières de concevoir le rapport avec Dieu, avec l'homme et avec le monde. La
rencontre était au-delà du dialogue. Le Professeur Leibovitz a écouté poliment
l'exposé que je donnais de ma foi et de mon expérience chrétienne mais son
propos n'était pas d'en discuter. Il entendait simplement témoigner de la
manière de concevoir et de mettre en oeuvre les exigences de sa fidélité au
judaïsme. Même quand en cela se manifeste l'identité juive et cela suffit.
J'aurais pu traduire: ce que les autres pensent de nous, en particulier les
chrétiens, même si leur réaction est celle du respect et de la reconnaissance,
n'a en soi aucune importance; l'essentiel est que nous soyons fidèles. Cette
expérience en a confirmé une autre que nous avions faite, il y a trente ans,
dans le cadre de la communauté chrétienne de langue hébraïque à Jérusalem... On
avait invité le Professeur Wervlowsky, de l'Université Hébraïque, l'un des
promoteurs et pionniers des relations entre Juifs et Chrétiens, à venir nous
parler de l'expérience religieuse dans le Judaïsme et de nous expliquer la
manière dont un Juif met en oeuvre sa foi dans sa vie. Il nous a fait un exposé
très nourri, très brillant, très articulé et très lyrique en même temps. A la
fin de la conférence, il y a eu la période souvent confuse et embarrassante des
questions de l'auditoire. Un jeune dominicain assez représentatif de la
mentalité de l'époque, a demandé au Professeur Werblowsky: "Où est le
témoignage dans tout cela, vous n'en avez pas parlé." La réponse a été
admirable dans sa simplicité: "C'est une question que nous ne nous posons
pas. Il nous est demandé d'être fidèles, nous essayons de l'être en pratiquant
la Loi. Le Seigneur fait ce qu'il veut de notre fidélité. C'est en cela que
consiste le témoignage". En d'autres termes, dans notre dialogue avec les
autres, il n'y a pas propos déterminé de rendre compte de ce que nous sommes .
Nous essayons d'être fidèles et cela suffit au niveau de l'être. Ceci nous
invite à reconnaître qu'il y a dans notre rencontre, antérieurement à toute
explication, à tout discours, une solitude de chacun dans sa fidélité. Ceci
demande d'accepter d'emblée ce qui ne peut pas
ne pas être ressenti dans nos coeurs comme une déchirure et nous en
ferons l'expérience, ces deux jours: au coeur de la proximité la plus proche,
dans l'intimité la plus profonde de notre reconnaissance mutuelle, nous ne
pouvons pas ne pas percevoir et accepter que nous sommes séparés et différents
au niveau de la foi. Si c'est vrai déjà
au niveau du dialogue pacifique que nous menons dans ce qu'on appelle "le
dialogue judéo-chrétien", qu'en sera-t-il lorsqu'il s'agira de réfléchir
ensemble sur cette blessure unique et indicible de la Shoah ? Alors,
nous allons écouter nos amis juifs, pour apprendre d’eux la manière dont, dans
leur lecture de la Bible avec J. Kugel, dans la mémoire, la fidélité à la
tradition avec le Rabbin Warchawsky et Daniel Epstein, dans le bilan de
l'histoire récente et des rencontres avec les chrétiens depuis la Shoah, avec Lucien Lazare, ils
comprennent le pardon, pratiquent le pardon. Ils nous diront comment ils
mesurent la responsabilité de ceux qui sont coupables du Mal dont leur peuple a souffert, et peut-être aussi nous
feront-ils comprendre ce qu'ils attendent d'une authentique compassion. Soyons
prêts à ce qu'ils nous ramènent à la question qui est le propos même de C.OE.U.R
: Comment réparer l'irréparable ? Comment réagir à l'indicible ? Comment
consoler, c'est à dire rejoindre l'autre dans sa solitude lorsque cette
solitude est infinie, insondable comme l'abîme de souffrance qui a englouti le
peuple juif dans les ténèbres de la Shoah ? Ces
quelques réflexions n'avaient pas d'autre propos que de vous inviter à
l'attention et au silence, à prendre conscience du sérieux et de la centralité
de ce qu'il faut appeler, en toute vérité, membres de C.OE.UR., votre vocation.
Qu'est-ce que cela exige de nous en tant que chrétiens? Les exposés de Pierre
Lenhardt, de Michel Remaud et de Soeur Anne Catherine nous aideront à préciser
cette question à la lumière de notre foi. (3) Je
souhaite que ces deux jours de réflexion et de prière nos apprennent à regarder
le peuple juif, à scruter le mystère d'Israël, dans la lumière où Dieu les
voit. Qu'est-ce que cela demande de nous lorsqu'il s'agit du pardon ? Frère
Marcel Dubois Annotations: (1) La conscience juive face à l'histoire. Le pardon, Paris, Presses Universitaires de
France, 1965. (2) Pardon et Justice
(ACAT), le supplément, N°187, 1993. Paris, Cerf. Voir aussi P. Ricoeur,
"Le pardon peut-il guérir ?", Esprit, mars 1995. (3) Ces exposés feront l’objet du numéro 12 de YERUSHALAIM
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